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La sélection du « Monde » de beaux livres d’histoire : le drag en France, la gastronomie, Missak et Mélinée Manouchian…

Histoire du drag
« Drag. Un art queer qui agite le monde », d’Apolline Bazin
C’était il y a exactement un siècle. Au début de l’hiver 1923, l’étoile du trapèze Barbette triomphe au Casino de Paris. Corsage échancré, pieds menus, un gros nœud vert à la taille, l’artiste enthousiasme le Tout-Paris par sa grâce, et laisse le public sidéré lorsque, au moment de saluer, un geste sec fait tomber sa perruque blonde et dévoile un crâne tondu : Barbette est un homme ! Un Américain, Vander Clyde Broadway (1899-1973) pour l’état civil. A moins qu’il ne s’agisse d’« une jeune femme qui fait semblant d’être un jeune homme habillé en femme », suggère dans Le Gaulois la journaliste Marie de Heredia, elle-même dissimulée sous le pseudonyme masculin de Gérard d’Houville…
Barbette s’inscrivait dans une histoire longue. Bien avant le magistral succès du concours télévisé « Drag Race » – quinze saisons aux Etats-Unis, une myriade de déclinaisons internationales, des tournées à guichets fermés –, des hommes se sont transformés en femmes, et des femmes en hommes, le temps d’une fête, d’un spectacle, d’un film ou d’une manifestation. C’est cette histoire souvent méconnue que retrace la journaliste Apolline Bazin dans Drag. Un album très riche, magnifiquement illustré, ponctué d’interviews de figures de cet univers longtemps souterrain.
Partant de la Grèce antique, où des hommes imitent des nymphes tandis qu’Héraclès et la reine des amazones échangent leurs rôles, l’ouvrage s’achève sur d’incroyables images de drags métamorphosées en elfes, en robots ou en aliens. Entre-temps défilent les artistes de kabuki, le chevalier d’Eon, Sarah Bernhardt, ce Barbette qui affola Cocteau, La Cage aux folles et Tootsie, Coccinelle, les vedettes du cabaret Madame Arthur, et une multitude de personnalités émouvantes. Certaines passablement oubliées comme Julian Eltinge (1881-1941), une des premières drag-queens du cinéma. D’autres désormais au firmament, à l’instar du Californien RuPaul, puissant producteur et présentateur de « Drag Race ». « Autrefois transformistes imitant les stars, les artistes drag sont devenu-es des personnages à part entière », résume l’autrice.
Mais ce qui donne sa force au livre, c’est qu’au-delà du glamour et des paillettes, Apolline Bazin montre à quel point le cheminement qui mène à l’explosion actuelle des drag-queens relève de la politique autant que de l’intime ou de la culture. Derrière le soin extraordinaire mis par ces hommes et femmes à se donner une autre apparence, derrière les perruques vertigineuses et les maquillages outranciers, derrière l’humour, les blagues et l’exagération, se joue un double combat, individuel et collectif. « Le drag est un art de la transformation de soi et du monde », analyse Bazin.
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